Séminaire Les Inquiétudes II
Souci éthique, enjeux déontologiques, pratiques inquiètes
Action recherche incitative du pôle transversal
Éthique, morale, déontologie… À ces mots l’on pourrait facilement ajouter ou substituer, dans l’état actuel de la langue et des systèmes de pensée, cinq ou six autres (ou plus). Dans leur histoire, ils se sont conjoints ou disjoints, se sont superposés, ont évolué. Mais les deux premiers concepts, auxquels le troisième s’adjoint tardivement au début du XIXe siècle, sont métamorphosés en fonction du tropisme qui les articule les uns aux autres. Chez Aristote, la distinction entre ce que nous nommons morale et éthique est sujette à questionnement ; dans notre monde moderne, où sonne silencieusement l’oubli surprenant des plus grands penseurs de l’éthique (comme Levinas), l’éthique s’abouche à la déontologie, jusqu’à fusionner et disparaître en elle. En d’autres temps, l’éthique de Spinoza s’émancipait et de la morale et de la déontologie pour aller vers une ontologie de la joie… Chez Nietzsche, l’essai polémique sur La généalogie de la morale, où le terme « Moral » relève de la conception classique française traitant de la psychologie humaine, conduit à la posture éthique de la transvaluation et à l’abandon de la morale (prescriptive) en tant que maladie de la psyché et signe majeur de la décadence de l’humain. Genet construit fantasmatiquement une éthique du voleur voire même du meurtrier, ou encore des folles travesties, qui se constitue depuis le renversement de la morale bourgeoise et chrétienne. La morale elle-même, à la recherche d’impératifs, n’a cessé de changer de visages. L’éthique, plus mobile encore, parce que circonscrite dans les sphères de l’intime, oscille entre recherche d’universaux et anarchisme des positions singulières.
Si l’on s’en tient aux temps présents, deux lectures contraires peuvent être faites du rapprochement entre éthique et déontologie. La première, optimiste, indique que les disciplines scientifiques, se pensant à travers leur application dans le champ social, intègrent à la conscience scientifique le souci éthique. La seconde, pessimiste, voit dans cette attraction un piège qui réduit l’inquiétude métaphysique qui sous-tend le souci éthique à une casuistique (c’est une perspective ouverte par le philosophe Habermas dans son essai Éthique de la conversation) qui a pour fonction de maintenir avec de moindres heurts la logique (politique et financière) sur laquelle elle fait florès, sans souci aucun si ce n’est la perte de profit.
Le groupe Poly&thique de l’UPHF dirigé par Matthieu Caron a, très clairement, montré que les collègues de notre université engagés dans la question se positionnaient dans la première des perspectives (la lecture optimiste), qu’on pourrait dire vertueuse, si ce terme ne renvoyait précisément au troisième terme que nous délaissons (la morale). Les chercheurs de DeScripto/LARSH souhaitent proposer un séminaire polymorphe et pluridisciplinaire tout autant que polytechnique qui en prolonge la dynamique. Au terme d’une année de réflexion menée depuis Les Inquiétudes, le travail se poursuit, cherchant à interroger inquiétude/souci éthique d’une part, et questionnement/décision déontologique d’autre part. Ce travail doit nécessairement s’ouvrir, en s’appuyant sur le Pôle transversal du LARSH, au dialogue avec l’ensemble des disciplines scientifiques de l’UPHF. C’est bien sans doute là où les distorsions sont les plus grandes, entre sciences appliquées et sciences spéculatives, entre disciplines vivant sur des compétences, des temporalités, des finalités différentes, que la réflexion peut s’approfondir, depuis des logiques différentes, des manières de penser étrangères les unes aux autres. Optimisme de l’éthique (contre les logiques d’enfermement disciplinaires) : la pensée et la science s’alimentant dans l’altérité, dans la prise en compte de qui parle, pense et agit autrement « Donner du front contre le langage, voilà l’éthique », disait Wittgenstein. Donner du front contre l’ordonnancement des disciplines pourrait être, pour un temps, la nôtre. Pour prolonger ainsi la métaphore, ne pourrait-on pas gagner à penser à la fois le problème éthique de l’ « intelligence artificielle » lorsqu’elle travaille sur la reconnaissance faciale, et le concept même de visagéité à partir duquel Emmanuel Levinas réinvestit la pensée de l’éthique? Nous avons ici, concrètement, un point de rencontre ou de coïncidence qui pourrait être riche d’enseignement, et auquel nous consacrerons cette année des rencontres.
Pour tenter de comprendre comment l’éthique et la déontologie peuvent s’alimenter, alors même que leur rapport au monde, à la pratique, est distinct (la déontologie postulant la nécessité d’une traduction en acte d’un souci éthique, alors que l’éthique vit de ne pas être réduite à une décision pratique, nous proposons de réfléchir cette année sur les divers liens qui se tissent entre le souci (à travers quoi affleure le care anglo-saxon) et l’inquiétude : depuis le souci de soi (où l’inquiétude le plus souvent se présente comme une angoisse du sujet – envers l’extérieur) et le souci des autres (où elle devient désir de communauté, sympathie, connaissance et reconnaissance de l’autre.
Programme 2023/2024
Atelier de lecture 1
Jeudi 7 décembre 2023
Judith Butler, « Qu’est-ce qu’une vie bonne ? (extraits sur la question éthique) ; Totalité et infini, Levinas (extraits pour préparer le colloque). Lecture commentée avec Vincent Vivès (Professeur Lettres).
Atelier de lecture 2
Mardi 30 janvier 2024
Intervention de Jacques Marcelo de Moraes (Université Fédérale de Rio de Janeiro, Brésil) : Autour de la poésie et de la traduction : pour une éthique de la relation
Kwame Appiah, Pour un nouveau cosmopolitisme, lecture commentée par Anna Khalonina
Atelier de lecture 3
Jeudi 4 avril 2024
Tiphaine Vrévin et Esteban Tremoco, « Qu’est-ce que l’éthique en traduction ? »
L’éthique de la discussion en question : idéal ou leurre des sociétés démocratiques modernes ?(extraits). Lecture commentée avec Charles Vincent (Maître de Conférences Lettres)
Atelier de lecture 4
Jeudi 25 avril 2024
Vladimir Jankélévitch. Lecture commentée avec Florence Schnebele (Maîtresse de Conférences Littérature comparée)