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Colloque Visages, visagéité, reconnaissance faciale

Action Recherche Incitative "Séminaire Les Inquiétudes II"

Par où commence le corps humain ?, se demandait Pierre Fedida en 2000. Par les orifices, par l’épiderme, par tel ou tel membre, par la tête ? L’individu est un continuum où le bas et le haut, l’intérieur et l’extérieur, la superficie et la profondeur s’alimentent les uns les autres. Et cependant, dans ce continuum, un élément vient s’imposer comme signature première du corps humain : le visage. Son apparente superficialité - et sa nudité (quelquefois interdite) - peut être vue (l’étymologie du visage-visum-video l’indique). Son antériorité chez l’homo erectus fait de lui une « face » (contre le côté « pile », qui en indique le revers). Être visible, être en haut, être devant : voilà qui va donner au visage son poids dans sa puissance métaphysique.

Par où désigner et instaurer le corps humain ? Si, par un geste iconoclaste Georges Bataille parle du gros orteil, si Nietzche part de l’estomac, si Artaud veut un corps sans organe, c’est pour renverser un système axiologique, un programme politique et une métaphysique qui s’entendent jusque dans la langue qui poursuit la survalorisation de la tête : grandeur politique (« capitale »), puissance (« être à la tête de »), puissance religieuse (sainte « Face »)… Dans le fantasme pneumatologique par lequel les religions se sont mises en place (le souffle, la profération d’un Verbe chrétien, mais aussi égyptien, mais encore grec avec Zeus etc.), le souffle de vie est aussi le mouvement d’expiration du souffle qui, de l’intérieur des alvéoles des poumons, passe par la bouche. Les dieux des multiples religions et mythologies peuvent être composites, avec de multiples attributs. Ils ont cependant en commun d’avoir une tête, qui est le lieu de la création du monde et de la vérité.

Par où identifier le corps humain ? Certains ordinateurs peuvent s’ouvrir avec l’empreinte digitale. Certains films d’action hollywoodiens ont fait rêver avec la reconnaissance de l’iris (et le rêve de science-fiction est devenu réalité). L’histoire de l’humanité est riche en moyens déployés pour identifier les corps, pour retrancher les mauvais corps des bons, pour les hiérarchiser, les sélectionner. Des caricatures et dessins, puis des photographies superposant aux images des idéologies plus ou moins catastrophiques (de la physiognomonie des siècles anciens, évoluant depuis le XIXe siècle vers des typologies régies par des visées racistes), jusqu’à l’ignominie des taxinomies délirantes des nazis. Contre les divers projets qui cherchent à réduire l’individu à une caste, un genre, un statut, Michel Foucault disait refuser (allégoriquement) la carte d’identité. L’intelligence artificielle actuellement ouvre une nouvelle manière d’identifier les corps, par la reconnaissance faciale. Ici sans aucun doute se trouve un des enjeux éthiques majeurs pour notre société et pour les sciences. Elle cherche à identifier de possibles otages, elle peut servir à rechercher des victimes dans des catastrophes naturelles. Elle aurait pu servir aussi, si elle n’était pas arrivée trop tard, à reconnaître certains visages estudiantins sur une certaine place d’un certain pays, et prolonger la chasse à l’homme pour ceux des corps qui n’auraient pas été immédiatement écrasés. Des bons usages comme des mauvais il faudrait sans doute tracer la carte…

Les présentes rencontres ont été pensées depuis un (heureux ?) hasard : il y a d’une part la question éthique (et déontologique) qui se pose aux scientifiques qui travaillent tout particulièrement sur une intelligence artificielle dont l’une des actualisations pratiques est la reconnaissance faciale. Et d’un autre côté, nous avons la réinvention de l’éthique, dans la seconde partie du XXe siècle, par Emmanuel Levinas, depuis le concept de visagéité. Dans les deux cas, le visage est le lieu privilégié de la concentration des efforts scientifiques et métaphysiques. C’est ce lieu que ces rencontrent souhaitent circonscrire, sur les terrains des sciences appliquées, des sciences de la sphère esthétique, des sciences linguistiques, des sciences sociales etc.