Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une façon fort civile, À des reliefs d'Ortolans. Sur un Tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête, Rien ne manquait au festin ; Mais quelqu'un troubla la fête Pendant qu'ils étaient en train. À la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le Rat de ville détale ; |
Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire : Rats en campagne aussitôt ; Et le citadin de dire : Achevons tout notre rôt. — C'est assez, dit le rustique ; Demain vous viendrez chez moi : Ce n'est pas que je me pique De tous vos festins de Roi ; Mais rien ne vient m'interrompre : Je mange tout à loisir. Adieu donc ; fi du plaisir Que la crainte peut corrompre. La Fontaine, Fables, Livre I, 9. |
Jean de La Fontaine, dans cette fable, se fait le chantre de la vie à la campagne, donnant à cette dernière la couleur de la liberté et de la quiétude. Cette apologie pourrait être considérée à certains égards, plus de trois siècles plus tard, comme l’expression de l’une des aspirations majeures de nos sociétés contemporaines.
Si dans la fable le rat des champs invite le rat des villes à venir chez lui, les rapports ville-nature-campagne sont à réinterpréter à l’aune d’une intrication, au cours de ces dernières décennies, des regards et des attentions portés aux espaces ouverts et aux « espaces à caractère naturel » (Clergeau, 2007).
Revendiquée pour ses vertus intrinsèques (biodiversité…), thérapeutiques (bien-être, qualité de vie…) et structurantes (trame verte et bleue,…), la nature occupe aujourd’hui une place prépondérante dans les projets de territoire. Ainsi, sans doute du fait de l’évolution du corpus législatif international (convention sur la diversité biologique…) et national (Loi Engagement National pour l’Environnement), des pratiques régionales (Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire) et des initiatives privées ou locales (charte environnementale de firmes agro-alimentaires, agriculture de proximité, jardins partagés…), les synergies ville-nature-campagne sont redynamisées. Ces dernières reposent-elles pour autant sur des conceptions et des pratiques de la nature interchangeables et substituables ? Le colloque organisé par la commission de Géographie rurale et la commission Villes et métropolisation du CNFG entend interroger la place de la nature dans le renouvellement des liens ville-campagne. Au-delà de la seule interface, il s’agit aussi de bâtir la ville avec la nature et de repenser la nature en ville. Symétriquement, « repenser les campagnes » (Perrier-Cornet, 2002, 2014), c’est également les repenser pour elles-mêmes et notamment dans leurs propres rapports aux espaces de nature.
Ces approches oscillant entre renouveau et héritage de la conception de la nature traduisent un certain nombre de dynamiques de transgression, mais également soulignent le maintien ou l’émergence de lignes fractures entre les catégories d’espace et au sein des espaces.
Le colloque est largement ouvert à l’ensemble des disciplines qui aujourd’hui explorent la thématique proposée (de la géographie à la sociologie en passant par l’histoire, la philosophie, les sciences économiques ou les sciences politiques…). Les propositions qui dépassent les horizons européens seront examinées avec un grand intérêt.
Les textes proposés s’inscriront dans l’un des 3 axes ci-dessous :
Axe 1 -Sociétés et nature / politiques publiques et initiatives privées
Le premier axe pose la question de l’initiative, de la prise en charge et de l’orientation des politiques de gestion ou de développement des espaces de nature en ville, à la campagne, à l’échelle des aires métropolitaines. Il s’agit notamment de souligner l’émergence ou l’affirmation d’acteurs nouveaux, mais également de réinterroger les représentations de ce qui peut être considéré comme « espace de nature » tant par les décideurs que par les usagers.
Les projets de "renaturation" ou de reconquête d'espaces de nature au sein d’espaces urbains et ruraux retiendront l’attention. Ces expériences, si elles sont vraiment généralisées, traduisent-elles fondamentalement une manière nouvelle de fabriquer la ville, de concevoir la campagne et de produire du territoire ?
Il conviendra de s’attacher à la cohérence des politiques déployées, tant dans le temps que dans l’espace, et ce à toutes les échelles, y compris à celle de territoires de projets transnationaux (PNR ou Parcs nationaux par exemple). Il s’agira notamment de questionner les inflexions de trajectoire (évolution de la conception, des modalités et méthodes de mise en œuvre) et d’en décrypter les fondements et implications.
Axe 2 -Agriculture-alimentation-nature
Les questions propres aux dynamiques agricoles suscitent un intérêt tout particulier dans la mesure où l’activité est tout à la fois susceptible d’assumer des fonctions sociales, paysagères, environnementales, de structuration des espaces, mais aussi et bien évidemment nourricières. Il apparaît néanmoins que cette dernière fonction est celle dont se sont saisis le plus récemment les décideurs et acteurs de l’aménagement. Ainsi, les champs en périphérie plus ou moins lointaine sont appelés à nourrir « cette » ville, dans le prolongement d’une transition agricole et d’un dispositif législatif (LOA, Loi SRU, LAA, réformes de la PAC, programmes agri-urbains) susceptibles de servir les objectifs de la durabilité. Quelles réalisations et concrétisations (politiques ambitieuses ou effets d’affichage ?) dans toutes les dimensions d’une multifonctionnalité institutionnalisée (préservation des ressources en eau et de la biodiversité, gestion des espaces naturels sensibles, gestion des déchets...) ? Quelles attentes réelles et supposées des populations citadines et rurales ? Quelle implication des structures de distribution conventionnelles dans le redéploiement d’une agriculture de proximité ?
Qu’en est-il par ailleurs du développement d’une agriculture intra-urbaine y compris dans ses formes les plus novatrices (fermes verticales), en France et à l’étranger ? Quelles finalités « naturelles » peuvent servir cette agriculture ?
Au-delà de la seule agriculture professionnelle, la relation agriculture-nature passe aujourd’hui par le renouveau des jardins sous des formes et selon des modalités néanmoins revisitées, en ville en premier lieu. Ce renouveau n’est-il cependant qu’urbain ou affecte-t-il selon des formes et des motivations identiques ou différenciées les couronnes périurbaines et les espaces ruraux ?
Axe 3 -Nature, urbanité, ruralité : entre intégration et discontinuités
Comment ces expériences de « renaturalisation » de la ville et de développement d’une « agriculture urbaine » sont-elles vécues par les habitants, et que nous révèlent-elles sur l’évolution de nos sociétés et les discontinuités ville-campagne ? Assiste-t-on vraiment à un dépassement de l’opposition rural-urbain, ou génèrent-elles de nouvelles formes de discontinuités à l’heure de la périurbanisation et de « l’urbain généralisé » ?
La question des discontinuités se pose d’abord en termes de temporalités. Alors que la ville moderne, en Europe, s’est construite sur une idéologie de domination de la nature (endiguement des fleuves, macadamisation des sols, zonage strict des « espaces verts »…), la ville postmoderne (ou hypermoderne) constitue-t-elle une rupture en développant des formes d’hybridation réconciliant l'homme et la nature ? Si la recherche récente tend effectivement à considérer les « faits de nature comme intrinsèquement intégrés à la ville » (Veyret, 2006), et parle de « naturalité de la ville et d’urbanité de la nature » (Berque, 2000), les opérations de « renaturalisation » de la ville (trame verte, déterrement du cycle de l’eau etc…) restent souvent ambivalentes, entre une conception close de la nature comme éco-système où l’homme n’a pas sa place, et au contraire l’imitation artificielle d’une nature « sauvage » au cœur de la ville...
Les discontinuités sont aussi spatiales. Quel est l’impact des nouvelles formes d’hybridation ville-nature sur les représentations et les pratiques habitantes ? Suscitent-elles de nouvelles formes d’urbanité et de ruralité ? Le rapport aux espaces de nature, à l’heure de « l’urbain généralisé », devient-il le même en fonction des lieux de résidence et des modes d’habiter ? Ou bien les populations urbaines, rurales et périurbaines ont-elles encore des pratiques très différenciées des espaces naturels et agricoles ?
Enfin, on sait le rôle historique des espaces naturels dans la fragmentation socio-spatiale des villes européennes (des forêts et chasses aristocratiques préservées de l’urbanisation aux parcs sélectes des beaux quartiers bourgeois des villes industrielles…). A l’heure où certains pointent les risques de « standing écologique » (Emelianoff et Theys, 2001) des éco-quartiers ou des nouveaux aménagements de l’urbanisme « durable », assiste-t-on à l’émergence de nouvelles discontinuités socio-spatiales ? Quels effets les projets de « renaturation » ont-ils sur les profils sociaux des espaces concernés ? Le déploiement d’une agriculture de proximité et « respectueuse de son environnement » dépasse-t-il les processus de sectorisation ou de clubbisation des périphéries urbaines ?
« Café des doctorants »
Soirée du 24/9.
Parallèlement au colloque sera organisé un « café géographique ». Celui-ci permettra aux doctorants d’exposer soit leur problématique de recherche et leurs principales hypothèses, leurs difficultés ou interrogations méthodologiques, soit pour les plus avancés des résultats. Ce « café » ne se substitue aucunement au colloque (les doctorants sont donc encouragés à soumettre par ailleurs une proposition de communication). L’objectif est de soumettre à la discussion et au débat un certain nombre de questionnements relatifs à l’avancement du travail de thèse.